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Kayes : Immigration régulière d’accord mais le droit à la mobilité d’abord !

mardi 15 mars 2016

Kayes et sa région se sont développés en grande partie grâce à l’argent envoyé par les immigrés depuis les années 1970. Tout en s’engageant contre l’immigration clandestine, la région s’insurge contre les méthodes répressives adoptées par l’Union Européenne pour décourager les migrants. Pour les Kayesiens, le droit à la mobilité dans la sous-région et dans le monde est non négociable. C’est ce message qu’ils ont transmis à la caravane pour la terre, l’eau et les semences, de passage à dans leur localité, le 12 mars 2016.

Madiba Siby, est un ancien migrant. Après avoir vécu 10 ans dans la clandestinité en France, il s’est décidé en 2005 de rentrer dans son Kayes natal. Un choix qu’il ne regrette pas. « La vie de clandestin en France est un véritable calvaire. Nous ne le faisons pas par amour de la France mais par nécessité pour nos familles », avoue-t-il. « On vit permanemment avec la peur au ventre. La police peut vous expulser chaque fois que vous mettez le nez dehors. J’ai préféré rentrer chez moi pour vivre au sein des miens », a-t-il poursuivi.

Madiba Siby a longtemps été une exception, pour avoir décidé de lui-même de retourner sur sa terre natale. Mais aujourd’hui, ces retours volontaires commencent à se multiplier à Kayes. De plus en plus d’anciens migrants appellent au retour en terre natale. Ils ont créé l’association des migrants de retour à Kayes (AMRK). Ils sensibilisent les jeunes sur les dangers de l’immigration clandestine.

Mais leur message a du mal à convaincre. La majorité des jeunes dans la région ne jurent que par l’immigration au mépris des risques encourus. Il y a un mois, 25 jeunes du village de Melga dans le cercle de Kayes sont morts dans la mer méditerranée.

Mais ici, personne ne les condamne. On regrette seulement qu’ils n’aient pas réussi. « Nous payons un lourd tribut. Des milliers de nos enfants sont morts dans le Sahara et la Méditerranée. Nous le déplorons mais ils n’ont aucune alternative ici. Ils doivent partir pour se réaliser », analyse Madiba.

Les opportunités d’emplois sont maigres dans la région. L’agriculture qui occupe la majorité de la population est essentiellement une agriculture de subsistance. L’industrialisation est encore embryonnaire. On constate un taux de chômage va croissant et le sous-emploi tout aussi élevé.

L’Etat s’est longtemps reposé sur les immigrés pour impulser les actions de développement dans la région. « Le développement de Kayes repose en grande partie sur l’apport des immigrés. Ils sont les auteurs des réalisations dans l’hydraulique rurale, l’éducation, la santé. Bref, dans tous les secteurs sociaux de base, l’apport des migrants est significatif », explique Demba Thiam, coordinateur de l’AMRK.

Malgré les drames, les populations continuent à parier sur l’immigration. Les immigrés envoient régulièrement de l’argent pour soutenir la production agricole et acheter des vivres. Mais les règles sécuritaires imposées par l’Union Européenne sont en passe de tuer la poule aux œufs d’or. Frontex, une politique européenne visant à bloquer et à maintenir les migrants dès les pays d’origines est fortement critiquée. « Frontex s’est désormais déplacé dans nos capitales africaines. C’est un comble ! », s’emporte Ladji Gningané, un ancien immigré. L’un des effets pervers de frontex est la recrudescence de l’exode des zones rurales vers les grands centres urbains. Les zones de production sont ainsi vidées de leurs bras valides sans recevoir en retour une quelconque compensation financière.

C’est pourquoi l’AMRK appelle au strict respect du droit de mobilité et de la libre circulation. « Nos dirigeants doivent savoir que le développement passe forcément par la mobilité des hommes. Ils faut qu’ils imposent le droit à la mobilité dans les négociations avec l’Europe », préconise Demba Thiam.

« Mais avant de donner des leçons à l’Europe il faut garantir la libre circulation et la fin des tracasseries dans l’espace CEDEAO (ndlr : Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) », conclu-t-il.

Bien que le principe de la libre circulation des biens et des personnes soit adopté depuis une dizaine d’années dans l’espace CEDEAO, son effectivité est loin d’être garantie. L’AMRK invite à intensifier l’intégration sous-régionale pour résoudre durablement le problème de l’immigration clandestine tout en réaffirmant le droit à une immigration légale.

Nourou-Dhine Salouka

Photo : N. Salouka