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Une caravane pour affirmer le droit des paysans à la terre, à l’eau et aux semences

lundi 25 avril 2016

Du 04 au 18 mars, des défenseurs des droits humains ont sillonnés toute l’Afrique l’Ouest à la rencontre des autorités nationales et régionales pour plaider la cause des paysans. Objectif : garantir aux paysans un accès sécurisé à la terre, à l’eau et préserver les semences paysannes par l’interpellation des pouvoirs publics.

La caravane dans les rues de Kaolack

Echanger, écouter, discuter, dénoncer et sensibiliser. Le rituel des caravaniers est simple et immuable. A chaque étape, il faut recenser les préoccupations des paysans, les informer sur les enjeux liés à l’accès à la terre, à l’eau et la préservation des semences paysannes. Après, remettre le « livret vert » de la caravane aux autorités administrative et politique avant de poursuivre son chemin. Partout, le message porté est invariable. « Nous sommes une caravane de paix. Nous apportons le message des paysans ouest-africains afin que nos dirigeants prennent conscience des difficultés qui menacent leur survie », déclare, Massa Koné porte-parole des caravaniers, chaque fois qu’il prend la parole devant les autorités.
Pour mettre en lumière les problèmes des populations rurales ouest-africaines, les caravaniers n’ont pas ménagé leurs efforts. Le bilan chiffré de la caravane est éloquent : 2300 km parcourus, 3 pays traversés, 10 villes étapes, près de 10.000 paysans rencontrés, une cinquantaine de responsables politiques et administratifs sensibilisés. La caravane est une idée de la convergence globale des luttes pour la terre, l’eau en Afrique au-delà de la dénonciation se veut une foire de partage de solutions paysannes. L’idée de la caravane est née durant le forum social africain de Dakar, en 2014. Au départ, la convergence voulait dénoncer les accaparements massifs de terres paysannes par l’agrobusiness international. Mais au fur et à mesure, des alliances ont été nouées avec d’autres secteurs « L’idée de la caravane a été lancée Dakar. A l’époque, nous voulions créer un cadre unitaire des organisations pour combattre les accaparements des terres. Finalement, au forum social de Tunis, nous avons été rejointes par les organisations qui luttent contre l’accaparement de l’eau. Ce sont des luttes complémentaires », se souvient Ousmane Barké Diallo, de l’association des organisations professionnelles paysannes du Mali.

Terres accaparés, paysans accablés

Manifestation des paysans contre l’accaparement des terres au Sénégal

Tout le long du périple, les caravaniers ont découvert plusieurs violations des droits des paysans. La plus courante concernait l’accaparement des terres facilité par les gouvernements, eux-mêmes poussés par les institutions de Breton Woods. « Le processus de réforme foncière est un processus global encouragé par la Banque mondiale qui demande à nos Etats de réviser leurs lois foncières pour permettre aux investisseurs d’acquérir des terres qui sont supposées mal exploitées voire inexploitées par les populations », accuse Sidy Ba, membre de la commission nationale droit à la réforme de la terre du Sénégal.

L’accaparement des terres concerne tous les pays de la CEDEAO. A quelques détails près, les paysans racontent les mêmes histoires. Des paysans spoliés au profit d’agrobusiness men, de sociétés minières, d’usines ou pour la réalisation d’infrastructures. Les compensations, si elles existent sont loin de satisfaire les paysans. Au Burkina Faso, la construction du barrage hydroélectrique de Samendeni a causé le déplacement de 40.000 personnes. La relocalisation des déplacés dans d’autres villages a créé un conflit latent entre migrants et autochtones. « Entre migrants et autochtones c’est compliqué. Il y a souvent des prises de becs et je crains que ça ne débouche un jour sur des heurts sanglants », confie craintif Issiaka Sawadogo, un migrant.

L’accaparement de l’eau se fait de façon subtile, caché derrière des accaparements de terres. L’eau accaparée sert la plus part du temps à l’industrie comme c’est le cas à Damniado au Sénégal. Là-bas, la cimenterie Dangote SA pour refroidir ses machines pompe l’eau d’un lac qui servait au maraîchage tuant ainsi cette activité agricole. « DANGOTE SA prélève par an 15 millions de m3 par an. Déjà les maraichers ont dû pour certains abandonner leur activité par manque d’eau », témoigne, Moussa Fall, un producteur de Damniadio.

Concernant la protection des semences, les paysans ouest-africains doivent faire face aux assauts répétés de Monsanto. Après l’échec de son coton transgénique au Burkina, plusieurs pays sont devenus réfractaires aux cultures OGM. « Le coton OGM a été une catastrophe pour la filière du coton. Il a l’endetté les paysans à cause du coût exorbitant de la semence. Par ailleurs, sa fibre de mauvaise qualité se vend sur le marché. Les paysans se sentent dupés », analyse Ousmane Tiendrébéogo, secrétaire général du syndicat national des travailleurs de l’agropastoral (SYNATAP). Mais la multinationale est loin d’être désarçonnée ! Elle se prépare à s’attaquer aux céréales notamment le sorgho au Burkina. Monsanto compte atteindre les pays en passant par des politiques régionales. La société civile voit en la politique sur la biodiversité de l’UEMOA une porte ouverte aux OGM. Le préambule du texte met en évidence les prétendus avantages liés aux OGM en ces termes : "Convaincu que les biotechnologies modernes offrent des possibilités réelles et significatives pour le développement socio-économique, la santé humaine et animale et l’environnement ".

Sous la pression de de la coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN), les risque que représentent les OGM sont désormais inscrits dans le texte. Mais cela ne signifie pas pour autant l’abandon des cultures transgéniques. « Malgré le lobbying, nous n’avons pas encore eu vent de ce que les instances communautaires s’apprêtaient à refuser les OGM dans l’espace communautaire. Le refus des OGM ne peut se faire que par une disposition expresse, c’est-à-dire le moratoire. Or, aucune perspective ne se dessine dans ce sens », dénonce, Jean-Paul Sikeli, secrétaire exécutif de la COPAGEN.

Des solutions à disséminer

L’un des objectifs de la caravane est d’influencer les politiques nationales et régionales. « La société civile est perçue comme une force de propagande, il faut que nous montrons que nous sommes une force proposition porteuse de solutions », déclare Jean-Paul Sikéli, secrétaire exécutif de la coalition pour la protection du patrimoine génétique africain. Dans toutes les étapes, les communautés ont présenté des solutions pour améliorer la productivité agricole et conserver leurs patrimoines semenciers. Elles sont convaincues que ces semences sont leurs meilleurs alliés contre les changements climatiques. Au Mali, la convergence des femmes pour la souveraineté alimentaire (COFERSA) est devenue leader de la conservation des semences paysannes. « Nos grands-parents nous ont transmis un patrimoine génétique que nous devons léguer à nos enfants, au risque de les transformer en esclaves soumis à la volonté de firmes productrices de semences », prévient Alimata Traoré, la présidente.

De leur côté, les caravaniers ont consigné leurs solution dans le livret vert de la convergence. Il a été remis au cabinet du président sénégalais Macky Sall, président en exercice de la CEDEAO. Ils y réaffirment entre autre la nécessité de l’adoption du principe de souveraineté alimentaire en lieu et place celui de la sécurité alimentaire. La préservation des semences paysannes et du patrimoine génétique africain est présenté aussi comme un point fort. Les caravaniers exhortent les autorités à rejeter les OGM qui sont présentés un moyen d’asservir les paysans et de les déposséder de leurs semences par le biais de brevets contrôlés par des multinationales.

Face aux multiples processus de révision des lois foncières en cours ou à venir, la convergence exige l’abandon des principes de marchandisation des terres. « Depuis toujours nos communautés ont su gérer leurs terres de façon collective sans avoir besoin de titres de propriété individuelle. Le titre collectif protège mieux contre les ventes sauvage », explique Sidy Ba.

Instaurer un nouveau mode de gouvernance

Aminata Traoré de COFERSA (au centre), Konimba Koné ministre malien de l’investissement (à gauche), Bougouzanga Coulibaly gouverneur de Sikasso (à droite)

La caravane ouest-africaine se veut une action de participation citoyenne à la gestion des affaires publiques. Pour les organisateurs, elle doit permettre d’accélérer l’intégration panafricaine. « Nous sommes en avance sur les politique car notre action est la matérialisation de la CEDEAO des peuples. Nos populations ont pris conscience qu’il faut aider les dirigeants à bien gérer dans l’intérêt de tous. Nous sommes en lutte mais nous ne sommes pas opposés à nos dirigeants », précise Massa Koné. Bien au contraire, les caravaniers affirment vouloir aider les autorités dans leurs tâches en leurs apportant d’autres informations. « Les autorités sont le plus souvent mal informées. De plus, elles subissent de fortes pressions de la part de leurs partenaires financiers. C’est à la société civile de faire pression pour qu’elles restent fermes sur les positions favorisant le bien-être de tous », conseille Ousmane Barké Diallo.

Les caravaniers espèrent être soient entendus par les autorités. Mais Quelles chances de voir leurs propositions adoptées ? A priori c’est en bonne voie. Partout ou presque, les responsables politiques et administratifs ont reçu les caravaniers. Certains même ce sont glissés dans la peau des caravaniers pour prendre en compte leur combat. C’est le cas du Ministre malien de l’investissement et du secteur privé, Konimba Sidibé. Ancien député à l’Assemblée nationale, il a été parmi les premiers à faire pression pour protéger les paysans de l’Office du Niger. Ces paysans faisaient face à des investisseurs Libyens venus pour confisquer leurs terres avec la complicité avérée de politiciens locaux. Le gouverneur de Kayes quant à lui est farouchement opposé aux OGM et entend plaider auprès des plus hautes autorités pour que l’Afrique de l’Ouest les rejette. Le gouverneur clame pour une préservation des semences locales. « Les brevets sont une arme redoutable entre les mains des multinationales. Si nous ne menons pas efficacement ce combat, nous allons perdre notre patrimoine génétique local », assure-t-il.

Vrai enthousiasme ou simple opportunisme politique ? Difficile de trancher. Le passage de la caravane à Tambacounda au Sénégal, a coïncidé avec la présence du ministre sénégalais de la Justice, Sidiki Kaba, en pleine campagne pour le référendum visant à modifier la constitution. Il a saisi l’opportunité pour vanter les mérites du projet. Un fait anodin donne un début de réponse. Le président Macky Sall, censé recevoir le livret des revendications a préféré aller battre campagne plutôt que d’écouter les caravaniers.

Mais ce couac est loin de décourager les caravaniers. « La caravane n’est qu’un début. Nous continuer les combats dans nos pays respectifs. Nous ne nous arrêterons que lorsque nous aurons obtenu une totale satisfaction », promet Massa Koné.